mardi 25 février 2014

Est-il necessaire de frustrer pour éduquer ?

Ceci est un plaidoyer pour qu'on cesse de considérer la frustration comme nécessaire à l'éducation.

"la frustration est nécessaire pour grandir... "

Ne me dites pas que vous n'avez jamais entendu cette affirmation...je vous croirais pas...ou alors vous habitez en Suède...

Cette phrase je l'entends très souvent, je l'ai même apprise durant mes cours pour devenir Éducatrice de Jeunes enfants.
Je l'entends, dans les discussion avec mes copinautes, je l'entends en famille, je l'entends à l'école...(beaucoup à l'école..).

Il faudrait frustrer les enfants si on veut bien les éduquer et surtout...ne pas en faire des enfants Roi...ça serait horrible..c'est l'adulte le Roi enfin!!!! pas l'enfant....vous voulez vous faire bouffer ou quoi?!
Et nous voila reparti dans les rapports dominants/dominés...




Mais au fait, c'est quoi une frustration?

Dans le Petit LAROUSSE : 

Frustration : tension psychologique engendrée par un obstacle qui empêche le sujet d'atteindre un but ou de réaliser un désir.
La cause de la frustration est donc un "obstacle". Un obstacle peut etre de différentes nature : physique par exemple....Mon fils peut s’énerver lorsque ses capacités de motricité fine ne lui permettent pas de réaliser un dessin comme il l'imagine dans sa tête. Il est donc naturellement frustré par cet obstacle et mon travail de parent est de l'accompagner dans la gestion de cette frustration.

L'obstacle peut être matériel, par exemple, nous ne pouvons acheter ce jouet dans ce magasin...La encore, on accompagne l'enfant grace à l'imaginaire par exemple ou en détournant l'attention, en prévenant à l'avance que les achats seront uniquement alimentaires ou encore en le faisant participer et en le responsabilisant. Cela permet à l'enfant de trouver et d'adopter des stratégies afin que la frustration soit acceptable ou mieux : surmontée. .

L'obstacle peut être une personne physique. Lors d'un jeu entre enfants si les deux participants ont une vision divergente...ou lorsque par exemple, j'édicte des règles qui ne plaisent pas à mon fils, que je pose un interdit qui devient un obstacle. Je peux l'accompagner en lui expliquant mes raisons, en utilisant une formulation "je", en argumentant mes raisons (ce qui est bien car ça me permet de voir si mon interdit est réellement fondé).

En général, l'explication censée suffit à faire accepter la frustration.
La frustration, liée à un obstacle, est donc très positive, elle nous permet de développer des stratégies de contournement, de dépasser nos limites, de faire fonctionner notre cerveau afin d'imaginer des solutions, des alternatives...

Mais on ne peut pas dire que je sois "pour la frustration", le bon terme est que je suis pour "accompagner l'enfant à surmonter les frustrations liées à la vie".

Ce que je ne supporte pas du tout c'est le fait qu'un adulte (représentant le pouvoir et la force) frustre un enfant de manière intentionnelle et arbitraire. Le fameux "c'est moi qui décide, c'est moi l'adulte".

"Il faut frustrer les enfants car la vie c'est comme ça, on y est souvent confronté et il faut apprendre à l'accepter et pis c'est tout."

Je ne nie pas l’existence de la frustration dans nos vie. Ça, vous l'avez bien compris. En effet, nous y sommes confrontés dans nos relations avec les autres, dans notre travail, bref dans notre vie. 

Elle fait partie intégrante de la vie.

Ce que je réfute c'est qu'on doive "frustrer l'enfant pour bien l'éduquer".
Rien ne sert d'ajouter des frustrations qui n'ont pas lieu d'être. Vous vous voyez, vous adultes, vous imposer à vous même des frustrations inutiles? vous n'avez pas assez à faire avec celles qui sont inhérentes à votre vie? Genre..."ah aujourd’hui je vais m'infliger une petite frustration tiens, ça me fera du bien et ça me remettra dans le droit chemin!!! comme ça une frustration débile de plus m'aidera, je suis sur, à supporter mieux celles que la vie m'impose"...

Et cette injonction (...) revient à dire que plus l'enfant sera frustré plus il acceptera la frustration... imaginez que votre vie ne soit qu'une succession de frustrations continuelles!!! au bout d'un moment, vous serriez résignés...est ce que la résignation est un moteur positif dans la vie? est ce que la résignation n'est pas l'arme la plus forte que les puissants ont sur nous...pour nous casser, nous faire taire, nous manipuler, nous utiliser? 


Voulons nous que nos enfants deviennent des citoyens passifs et déprimés?  

Cette histoire de frustration ne serait elle pas une manipulation des puissants afin de garder bien serviables les populations soumises?
 En plus, si vous ne frustrez pas vos enfants, vos serez de mauvais parents...et pour citer la maitresse de Big boy  "il faut dire non aux enfants, même sans raison, car je suis l'adulte, je sais ce qui est bien pour l'enfant, je décide". (conseil qui, comme vous devez vous en douter, est resté lettre morte chez nous!!)

Cette phrase n'est elle pas un résumé du totalitarisme? Nous l'appliquons aux enfants sans sourciller mais nous sommes prompts à dénoncer les dictateurs...pourtant nous agissons sur le même fondement. 



La frustration peu générer de la colère. 


Il faudrait que les enfants acceptent la frustration sans colère, sinon, c'est qu'il a un "problème". 
Parce qu'il faut qu'il "accepte" la frustration. 
Pour moi, il ne faut pas acepter la frustration mais la dépasser. 
Je ne peux pas m'empêcher de voir dans l'acceptation une forme d'abandon, de renoncement... je préfère l'idée que la frustration permette de dépasser nos limites et de trouver des solutions inédites. Quand on est frustré, il y a une forme de deuil à passer, et la colère en est une étape naturelle et même salvatrice.
La colère est saine, c'est la violence qui ne l'est pas. 
Quand nous subissons trop de frustrations (ou une injustice), la colère bouillonne en nous....si nous accumulons ces sentiments elle sort bien fréquemment en violence....car la colère première n'a pas été exprimée, et donc analysée.
 La colère est saine et doit s'exprimer, c'est seulement la violence qui n'est pas acceptable. 

Pour moi la colère est un moteur pour lutter contre les injustices, je ne peux pas accepter les injustices passivement en se disant que c'est comme ça....sinon...ou va le monde? 
L'indignation puis  la colère saine sont pour moi un moteur puissant qui permet, si on s'écoute, de faire avancer positivement le monde, même à une petite échelle c'est déjà ça... 
La lutte contre l'injustice est louable et est un beau projet de vie. C'est dommage que nous oublions notre adolescence et nos sentiments d'injustices pour les étouffer par la résignation.
Ce qui est le plus dur c'est d'apprendre à ce que la colère ne devienne pas de la violence et se transforme en une force saine de changement.
C'est déjà une démarche difficile pour un adulte et c'est pourtant ce que nous demandons aux enfants!!!   C'est totalement illogique.

Alors? Enfants Rois ou Parents Rois? 


Pour moi ni l'un ni l'autre....Il ne s'agit pas d'effacer, de prévenir les frustrations naturelles auxquelles est confronté Big boy....mais de l'accompagner afin que cette frustration se transforme en énergie positive.  
Pour ce faire il faut garder à l'esprit que la frustration est quelque chose de difficile à surmonter pour chacun d'entre nous et donc à fortiori pour un enfant. (puisque la capacité  d'élaboration de l'abstrait est en développement..). 

Donc ce que je fais : 

-je limite autant que possible les frustrations liées à un besoin. Quand baby boy était un bébé, je m'organisais pour qu'il n'attende pas son repas...les besoins sont vitaux (d'autant plus pour un bébé)....

-j’apprends à différencier besoin et désir. C'est important de combler nos besoins primaires (pour notre survie) mais par contre nos désirs peuvent être soit irréalisables soit remis à plus tard. Les désirs ne sont pas forcement comblés et cela peu générer de la frustration. Mais c'est une frustration saine. On le voit actuellement avec son anniversaire qui se profile, il voudrait des centaines de jouets!!! mais il commence à remettre à plus tard " nan mais ça, c'est pour la liste d'envie de Noël....et ça pour mes 6 ans..."

-s'informer sur les stades de développements car vous ne pouvez pas réagir de manière identique avec un nourrisson et avec un enfant plus grand. Il est évident que plus on grandit, plus les besoins peuvent être quelque peu repoussés...l'enfant est en capacité d'attendre quelques minutes puis un peu plus longtemps...Quand Big boy me dit "Maman j'ai faim!!!!je vais mourir de faim" et bien je ne suis pas une magicienne (et en plus je suis contre le micro ondes!!) donc je lui réponds "je te donne de la saucisse congelée ou cuite?" il me répond "cuite!!!"..."et bien Big boy, la saucisse sera prête dans 10min"...cela clôt les râles intempestifs direct!!! 

-face à une frustration extérieure due à une personne qui pense qu'il faut frustrer à tout prix même si il n'y a pas de raison?  Et bien, ce n'est pas simple, la dernière fois que cela c'est produit (à l'école), et bien je lui ai expliqué :" tu sais, parfois, certaines personnes prennent des décisions arbitraires. Comme ça...sans vraiment de raison, et ces personnes pensent bien faire. Tu vas rencontrer au cour de ta vie de nombreuses personnes qui agiront ainsi...et il te faudra trouver des moyens de faire avec. Ce sentiment qu'on ressent dans ces cas là c'est l'injustice...on peut trouver quelque chose d' injuste et ça peu mettre en colère." 
 Parce que oui, il était très en colère. Il faut bien sur adapter nos mots aux compétences de l'enfant et à son âge. 

-j'explique, en terme de "je" les règles qui peuvent le frustrer. C'est pas une explication de 3 kilomètres!!! Mais plutôt "je ne veux pas que tu manges de bonbons le soir, le sucre des bonbons est excitant et j'ai besoin de calme le soir". 
Mais bon, franchement pour tout vous dire, il n'y a pas énormément de règles à la maison...alors il accepte aisément celles que nous posons. Nous posons peu de règles/obstacles qui pourraient générer de la frustration...et même en me creusant la cervelle je ne vois pas du tout les frustrations que je pourrais lui imposer. Nous avons des règles de vie en commun mais qui ne s'apparentent pas à des règles/obstacles.  

-j'accueille sa colère liée à la frustration. 


Et au fil de lectures supplémentaires j’étoffe ma vision :

 Carlos Gonzalez (pédiatre),  dans "Serre-moi fort" nous parle de la vision rependu au siècle dernier selon laquelle plus on a de frustration et plus on s'y habitue. 
Que cela permet de développer une tolérance à la frustration. C'est la théorie développer par Skinner, un psychologue comportementaliste,il pense qu'il faut faire délibérément attendre le bébé et ainsi lui apprendre à "retarder la satisfaction de ses désirs", "à tolérer la frustration", ou encore "à espacer les tétées"...
Pour Carlos Gonzalez, ce genre d'attitude éducative est cruelle. Il est vrai que si le bébé attend 5 min son biberon se n'est pas un drame mais ce qui est nocif c'est l'idée sous-jacente qu'il faille le frustrer à escient.   Il déclare "c'est l'acte en soi de provoquer chez un être humain une frustration délibérée qui est immoral." Je suis d'accord avec lui quand il dit que cette "idée de refuser systématiquement attention et soins aux enfants pour augmenter ainsi leur seuil de tolérance à la frustration est très répandue aujourd'hui". 
Il n'y a qu'a voir à l'école, ou la Directrice, au demeurant très sympathique et attentive aux enfants, déclarait qu'il faut frustrer les enfants car c'est l'adulte qui décide. Même ma mère me proposait de "faire attendre un peu Mini afin d'espacer les tétées...j'avoue que j'étais plutôt d'accord, mais étais bien incapable de le faire. 
Ce sont des petites phrases qui paraissent souvent anodines et c'est fréquent que nous ayons se type de réaction : pensant que l'enfant peu attendre, qu'il demande trop, que c'est bien de le faire patienter pour l'habituer, que c'est bien de le laisser en garde à quelqu’un d’extérieur pour qu'il s'habitue à la (frustration)séparation,  ou de laisser pleurer le bébé pour qu'il s'habitue à être seul par exemple (vous savez la méthode 5-10-15 min pour conditionner les bébés à dormir toute la nuit dans leur lit)...

Je terminerais en citant cette dernière phrase de Gonzalez : "Ce ne sont pas les enfants, mais les adultes, qui doivent apprendre à tolérer la frustration. C'est à dire que nous devons comprendre que certaines choses engendrent de la frustration chez nos enfants, que cette frustration se manifestera par des cris, des pleurs, des colères, voir des coups et des insultes. Nous devons être capables de tolérer ces manifestations de colère, qui sont des réactions normales à la frustration, sans leur refuser notre tendresse, sans les gronder ni les punir, sans tomber dans d'absurdes vengeances."


Pour aller plus loin : 

La colère 
https://www.youtube.com/watch?v=29OOQ8mJ0_o

Les émotions de l'enfant

https://www.youtube.com/watch?v=MJwZ8yf8ViA&feature=c4-overview&list=UUwed4vRThGPUaDIoVC0cdqA

 Isabelle Fillozat


Bouquins : 

"Pleurs et colères des enfants et des bébés" de Aletha Solter
"Au cœur des émotions de l'enfant" de Isabelle Fillozat 
"Parents épanouis, enfants épanouis" de Faber et Mazlish 
"Regarde...ton enfant est compétent" de Jesper Juul
"Serre-moi fort. Comment élever nos enfants avec amour" de Carlos Gonzalez

2 commentaires:

  1. J'aime beaucoup beaucoup ton article et je plussoie!
    Rapports de force et frustration, je ne vois pas du tout en quoi cela est constructif pour un enfant, et ca ne veut pas dire pour autant qu'on est des parents "laxistes"!!
    J'avais aussi écrit un post dans la même veine ;-) 'C'est qui le chef?"
    :http://readmymind.eklablog.com/c-est-qui-le-chef-a105854416

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    1. Coucou Emma june, je viens de voir ton commentaire ici!!! je suis allée lire ton article merci pour ton partage...a bientot :)

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